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Chroniques libres et dessins sur les lieux, les villes, les gens, la famille.

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23 novembre 2005 3 23 /11 /novembre /2005 06:50

Le choc premier se fit au Panthéon, quand fut reproduite la démonstration du pendule. La boule est dorée, luisante. Elle exprime son poids, sa densité; elle a la beauté des objets dont la vocation est unique, inexpugnable, éternelle. Est-ce le poli du cuivre, les reflets des rais de lumière qu'elle diffracte, la douceur supposée de son touché, ou simplement la radicale simplicité de sa fonction? Il faudrait être un grand poète pour en décrire les subtilités, les résonnances, les vibrations qu'elle peut procurer au visiteur. (je pense bêtement aux tâches imposées aux bizuths, au lycée du Parc à Lyon, il y a bien longtemps de cela, dont l'une était de décrire en six pages une boule de billard blanche...) La boule n'est pas si nue que cela: d'un côté, un anneau permettra d'y attacher le câble; de l'autre, un stylet aiguisé tracera une légère empreinte sur le sable. Autant la boule est ramassée, compacte, luisante, autant le câble est fin, discret, interminable, disparaissant dans les hauteurs où l'oeil le perd, et où seul l'esprit pense qu'il est bien attaché au sommet de la coupole, à des dizaines de mètres de hauteur. L'idéal serait qu'il ait une longueur infinie, qu'il se perde dans le ciel, qu'il se rattache au cosmos dont il veut démontrer le mouvement, où bien que ce soit la main de Dieu lui-même qui le tienne délicatement entre le pouce et l'index.

Le stylet le rattache au sol: il viendra délicatement l'effleurer pour en laisser une trace si légère mais si capitale dans la démonstration, dans son infime mais inexorable variation. Dans sa simplicité, dans l'entêtement de son va et vient perpétuel, le pendule absorbe toute volonté, tout désir, tout avenir. Il existe en lui-même, son action est si fusionnée avec son but qu'on n'attend de lui rien de plus que de susciter l'hypnose qui entraînera l'esprit dans les mystères de la création du monde et du mouvement des sphères. Surtout il impose son rythme, moins celui de la période de son mouvement que le décalage qui seconde après seconde se fait avec le sol. Les premières minutes semblent montrer une vitesse trop lente: c'est simplement que nous n'y sommes pas adaptés, comme l'oeil doit s'adapter à la pénombre. Et puis curieusement, la vitesse s'accélère, elle est mieux perçue, le corps petit à petit se met au diapason du mouvement de la terre. Un équilibre se crée, une harmonie entre le volume de la coupole, le mouvement de balancier du pendule et la rotation du Panthéon et de toute la terre qui vient avec lui. C'est à ce moment là que la tentation vient de s'identifier au pendule, de s'insérer dans cette boule qui maintenant apparaît si petite, pour garder toujours la même direction par rapport aux astres, pour se détacher de la terre, pour entrer en vibration avec une force qui la dépasse.

Le mirage pourtant doit s'interrompre. La résistance de l'air, le très fléger frottement sur le sable, peut être même l'attache du câble ont réduit l'amplitude du pendule; il ne traverse plus la coupole avec l'assurance de sa force, il semble hésiter, ou douter de son propre mouvement. Une main soudain le capture, l'éloigne du centre, et le libère à nouveau. Cette intervention humaine a brisé le charme. Les spectateurs s'éloignent, jettent un coup d'oeil détaché aux fresques qui couvrent les murs, se demandent s'il faut aller voir les tombeaux des grands hommes au sous-sol, et ont hâte de retrouver la lumière, le bruit de la ville, et le rythme de la vie quotidienne, sans envisager qu'il puisse prendre la régularité et le calme du pendule.

Je retrouvais des sentiments semblables au beau musée du Temps à Besançon, où, dans des proportions moindres et dans un cadre moins prestigieux que le Panthéon, le pendule trace son mouvement au-dessus de baguettes multicolores qui sont autant de repères auxquels on est tenté de s'accrocher, alors qu'au contraire c'est dans la boule qu'il faut entrer, et se libérer du sol, et de la terre, pour approcher, même de si peu, ce qui pourrait être le mouvement des astres.

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